ZIAMA MANSOURIAH

ZIAMA MANSOURIAH

LERARI mohamed-Raslan

LERARI mohamed-Raslan
LERARI mohamed-Raslan :

Portrait de l'artiste peintre et comédien du village LERARI Mohamed-Raslan

Lerari Arslane. Designer, graphiste, artiste-peintre, comédien

« Chez nous, l’artiste est peu considéré... »

« Je ne peux pas rester sans rien faire. Je vais faire la sieste. » Yvan Audouard



Il est designer, graphiste, artiste-peintre et comédien. Sa carte de visite s’affiche comme une palette toute en couleurs qu’il affectionne tant. Ce professeur à l’Ecole des beaux-arts, atypique, a le tutoiement et la convivialité naturels. Le regard est amusé et concentré. A la manière du peintre en face de sa toile inachevée, méditatif, il observe de longs silences, pour enfin se libérer et livrer avec méthode ses idées. Il prend soin, toutefois, de dire que la réflexion n’a de sens que reliée à l’action. Tout au long de la discussion, il ne cessera de regretter le gros coup de blues subi par la culture dans tous ses aspects. Grand, mince silhouette élégante, discret mais enthousiaste, Arslane est dans la vie comme au théâtre. La gestuelle est omniprésente chez cet artiste dont la curiosité est insatiable pour les idées et les arts. « Arslane a, sans conteste, du talent. C’est un artiste qui joue avec les tripes, avec le sentiment qui pense davantage au personnage qu’il incarne qu’au cachet. Hélas, de nos jours c’est devenu une denrée rare », regrette le réalisateur Lamine Merbah qui avait engagé Arslane dans quatre de ses films. Le cinéaste se souvient : « A l’époque, dans les années 1980, je cherchais un personnage particulier qui répondait au profil d’un jeune Algérien paumé dans une Algérie désorientée idéologiquement. Dans le malaise vécu par la jeunesse, l’acteur qu’il est a su, avec une grande sensibilité et beaucoup d’émotion, incarner ce jeune désemparé qui a tout perdu. Tout cela est perceptible dans La Conversation, film sorti en 1984, où Arslane qui court derrière un destin incertain, est rattrapé par la réalité, mais qui saura à force d’abnégation se hisser au niveau de ses ambitions dans le film Du fond du cœur, où il brise l’image pessimiste et sombre pour se frayer une place digne dans la société. Tous ces rôles, Arslane les a admirablement joués. » A l’époque, Arslane, la trentaine, avait déjà derrière lui un parcours enviable.

Naissance à Ziama

De sa naissance à Ziama Mansouria en 1948, il garde des souvenirs épars d’études primaires poursuivies à Alger, où ses parents avaient emménagé. Le secondaire se passe sans accrocs au lycée ex-Gauthier, suivi d’une réussite aux concours d’entrée aux Beaux-Arts et au Conservatoire à la fin des années soixante. Cette passion pour les arts lui trottait la tête et ce n’est sûrement pas son père, Rachid, comptable, matheux, qui a fait le lycée de Bougie, qui l’influencera. Le dada de son papa, c’était les chiffres. « Il n’était pas porté sur la chose artistique, c’est plutôt mon oncle Cherif, qui ramenait les illustres Blek le Roc Akim, etc. et qui les reproduisait à la maison en imitant les dessinateurs, qui m’a influencé. Il m’a vraiment marqué. A 12 ans, je dessinais à mon tour. C’est une passion qui ne m’a plus quitté. Je me suis aperçu que j’avais des dons et même les professeurs me sollicitaient au tableau pour dessiner les schémas. J’en tirais une certaine fierté. De plus, je me suis découvert des dons d’imitateur. Mes amis m’ont encouragé à rejoindre le théâtre. C’est ce que j’ai fait en intégrant le Conservatoire en 1970, sous la férule de Mahiedine Bachtarzi. Ma première apparition sur les planches date de 1970 où j’ai joué au TNA avec Khali Kouider Le Revisor puis le Dr Knock. Après, tout s’est enchaîné, j’ai eu de nombreuses distinctions dont le premier prix en Yougoslavie où on a joué Kan ya ma kan de Bougermouh. Avec El Mahgour du même auteur, c’était l’apothéose. Bougermouh est un fou passionné de son art. A lui seul, c’est toute une école. Il mérite tous les hommages. » Arslane n’a pas son pareil pour vous prendre par la main et vous guider dans son univers foisonnant d’images et de métaphores. Il parlera avec une pointe de fierté de sa première exposition en Espagne en 1988, de ses rôles au cinéma, et de ses passages sur le petit écran qui l’ont rapproché encore davantage du grand public, avec, notamment, le feuilleton Chafika.

Comédien et peintre

L’acteur auquel il s’identifie ? « Je ne peux pas parler d’identification, mais de reconnaissance et d’estime. Et c’est pour deux raisons que je penche pour Sean Pen. D’abord, pour son engagement politique et ses positions courageuses contre la guerre en Irak et, ensuite, pour ses différentes interprétations. Je trouve qu’il dépasse la simple mécanique de jeu, combien payante, que pratiquent la plupart des acteurs hollywoodiens. Sean Pen est directement dans la transcription faciale, émotionnelle et gestuelle de son personnage. Il y a de la vie dans son jeu. J’aime aussi Johnny Depp. Cela dit, Marlon Brando, totalement différent, est un monstre d’acteur. Chez nous, il y a tant d’acteurs au talent incontestable. Je ne peux les citer tous. Mais personne ne peut éviter les incontournables Hassan el Hassani, Rouiched, l’inspecteur Tahar, Ariouet, Sid Ali Kouiret, Omar Guendouz, etc. » Comédien et peintre, Arslane va-t-il pouvoir supporter le fardeau de ces deux activités passionnantes mais aussi éprouvantes ? « Tendre à vouloir être artiste par les temps qui courent n’est pas évident. Moi, mon choix a été dicté par la passion de l’art. C’est une chance inouïe que j’ai de pratiquer les deux. Deux mondes différents, mais qui se rejoignent. Etre comédien, c’est s’exposer en exposant des vies possibles dans un cadre structuré au service d’un texte et d’un metteur en scène. » A l’Ecole des Beaux-Arts où il enseigne, son collègue Mustapha Filali, artiste-peintre, ne tarit pas d’éloges sur les qualités de son ami Arslane « qui reste l’un des meilleurs designers sur la place et qui ne lésine pas sur ses capacités pédagogiques reconnues pour transmettre le savoir. C’est un professeur modèle qui a acquis une grande expérience depuis ses trente ans d’exercice ». La conception de la peinture, Arslane l’explique par des paraboles. « Plus j’avance dans le temps expérience, plus l’intuition participe pour une large part dans la création et je sens que je suis dans l’éphémère permanent, même si au final le travail se trouve concrétisé, visible sur un support. Mon sentiment d’éphémérité est lié au rapport que j’ai à ce monde et au sens de cette activité artistique qui me permet une espèce de méditation, voire une éclipse, une disparition momentanée. Ce que je sais dans ma démarche, c’est que j’aime énormément cette ignorance qui me laisse dans un flottement mi-intellectuel, mi-sensible, mi-sensuel... » Ce que pense Arslane de son métier, de la relève ?

« Il y a des potentialités qui ne demandent qu’à exploser, mais la compétence individuelle ne suffira jamais si elle n’est pas en synergie avec tout l’environnement. On parle beaucoup de la fuite des cerveaux. Essayons au moins de retenir ceux qui sont encore là, en leur offrant les conditions idoines. La remarque est identique pour le théâtre qui se meurt lentement sans susciter la moindre réaction salvatrice. Je crois qu’il faut susciter tout un débat, tant du point de vue historique que sociologique et politique. J’ai bien peur de ne pouvoir qu’approximativement répondre à cette question. En tout cas, la question soulève un paradoxe. On dit que l’argent est le nerf de la guerre et pourtant les années 1970 et 1980 furent riches en création, alors que les moyens n’étaient pas bien grands. Ce qui, actuellement, est inversement proportionnel, au vu des différents festivals qui ont lieu. Il faut dire qu’à cette époque riche du point de vue créatif, il y avait beaucoup d’intelligence et de pensée féconde. C’est simple, on venait d’ailleurs pour étudier dans nos universités. Il faut dire qu’on était fédérés pour la réalisation d’un même projet de vie de société socialiste, auquel on y croyait malgré tout. En dehors des années difficiles, les années 1990 surtout, qui ont freiné, entre autres, l’activité artistique, quelles peuvent bien être les autres raisons ? Citons en vrac :
- Les compétences ? Il en reste encore un peu, mais sont-elles bien coordonnées, voire d’abord sollicitées seulement ?
- La volonté ? La volonté n’a de sens et n’existe que s’il y a des motifs et des objectifs clairs à atteindre. Ce qui n’est pas le cas.
- L’absence de ténors comme ceux de l’époque, dans leur belle force de l’âge. Les Alloula, Benaïssa, Bouguermouh Malek, les Azzedine Medjoubi, Sirat Boumedienne, etc. Les ayant côtoyés, je vous garantis que ce sont des modèles de travail et de création.
- Le manque d’infrastructures ? Certainement.
- L’écriture théâtrale peut-être, insuffisante en termes de qualité.
- De bons metteurs en scène et comédiens en nombre suffisant. J’ai vu des jeunes comédiens ayant des aptitudes extra qui ne demandent qu’à être dirigés, accompagnés dans le long parcours de comédien. »

Rechercher l’excellence

Est-ce que les instances qui décident n’accordent pas encore suffisamment d’intérêt à la chose culturelle ? Je trouve que c’est bien de réunir ici dans notre pays, ce qui se fait ailleurs (à travers les festivals), mais c’est aussi bien, sinon plus, de donner à faire. L’art n’est pas affaire d’individus sensibles seulement, mais, de nos jours, il faut accorder beaucoup d’intérêt à la pensée instructive, éclairante. Pourquoi les activités culturelles sont en berne ? « Tout est mis en place comme si on faisait exprès pour tendre vers le bas et non pas vers la recherche de l’excellence. Tenez par exemple, on organise une multitude de festivals dont quelques-uns au prix fort, je ne suis pas contre. Les festivals, et après ? C’est le vide lorsque les lampions s’éteignent. Moi, je revendique un équilibre entre la culture-show, si on peut l’appeler ainsi, et la vie culturelle de tous les jours qui accuse un déficit affligeant. Pourquoi ne pas encourager la création théâtrale, rouvrir les salles de cinéma (de plus en plus rares), créer de petits studios de cinéma ? Ce n’est pas la mer à boire... » Pour conclure, et en guise de vœux pour l’année qui débute, Arslane lance quelques grandes idées généreuses : « Qu’il y ait une même volonté de mise en place, à l’instar de l’équipe nationale de foot, d’une pensée stratégique pour construire et investir dans l’intelligence intègre et le vrai savoir. Et pourtant, tout reste possible. La preuve nous a été donnée avec éclat, quand, en un temps record, l’Etat a mis en place toute une stratégie, toute une synergie de compétences pour le déplacement de nos supporters au Soudan. » A méditer.

Parcours

A 61 ans, Arslane a une vie accomplie dont la moitié consacrée à l’art et à la culture. C’est en 1970 qu’il entre au Conservatoire d’Alger pour y apprendre le théâtre et les arts plastiques. Après cinq ans d’études, il en sort diplômé pour se consacrer totalement à l’enseignement. Professeur à l’Ecole des beaux-arts, il est aussi comédien. Il a joué dans plusieurs films et dans de nombreuses pièces de théâtre, aux côtés de monstres sacrés du 4e art. Il a obtenu plusieurs prix et distinctions et, en 1972 déjà, il était l’un des concepteurs des pictogrammes des Jeux méditerranéens d’Alger de 1975. Il a conçu une kyrielle de sigles. Il a exposé ses toiles en Algérie et à l’étranger, et a obtenu, en 2000, le 1er prix du Concours national de peinture de la fondation Ahmed Asselah. Arslane est père de 3 enfants.



Par Hamid Tahri





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